JOVIVO

C'est quand on a rien à se dire qu'on parle le plus librement... Cet aphorisme, expression de la plaisante sagesse lyonnaise, à vous chers lyonnais d'adoption, m'invite en ce jour à une réflexion critique. La liberté de parole entre nous s'exerce à merveille, me semble-t-il , j'oserai même affirmer qu'elle est à la fois le noyau et la pulpe de notre amitié. Mais loin de sucer du vide, elle cueille, savoure et échange les plus beaux fruits de l'existence. Nous sommes ici rassemblés pour en goûter un, incomparable.

Le voici donc ce fameux terrain, fruit du travail des anciens, de leur prévoyante gestion, fruit mûr des désirs accomplis. Il vous advient à la mi-temps de votre temps, à la croisée de générations, adultes et montantes. Ce nouveau-né sur les bras et sous mes pieds ... est l'enfant de vos rêves alpins. Il a la robustesse du roc et le regard d'emblée tourné vers la splendeur des cimes.

Et moi de ce sol plein de promesse, marraine désignée par votre bonté, je ne saurai au grand jamais, effectuer le baptême n'ayant aucun pouvoir sacré direct entre les mains. Je ne puis portant le poupon joyeux sur les fronts baptismaux, que m'en remettre aux parents ravis, de la décision capitale du nom qui le marquera définitivement. Je proposerait seulement quelques suggestions. Suggestions que m'inspirent les propres choix que vous fîtes lorsque vous même parents très chrétiens décidâtes des prénoms de votre chère progéniture : Véronique, Isabelle, Vincent, Olivier, quatuor admirable, équilibré, je ne jouerai pas sonate savante sur ces belles sonorités. Je ne retiendrai que quatre notes, les quatre premières V. I. V. O. pour composer un accord parfait, d'un dynamisme fou. VIVO qui réjouit mon oreille de latiniste, vivo : je vis, je vis abondamment, je vis intensément, passionnément. N'est-ce pas comme la devise irrécusable de la gens Joseph ?

Sur ce terrain, sur ces pierres, la vie surgira, vie de détente, vie d'accueil dont le regroupement de ce dimanche d'août 85 est déjà le signe. Une seconde suggestion m'est venue à l'esprit pour désigner cet enfant des bords de la Gyronde sans me torturer, j'examinerai de même manière le duo Jacques et Odile. Alors s'imposera à moi, ou plutôt s'extirpera de moi, de cette voix aigüe dont me fit don la nature, en deça de toute musique, le cri primordial que forme la conjugaison des deux premières lettre de Jacques et Odile IO, le io bacchique de nos ancêtres les grecs, IO qui fut parfois cri de terreur mais qui ne sera, en cette heure solennelle que le cri de la joie exaltante et exultante, joie de la vie qui jaillit en surabondance, qui provoque enthousiasme aux frontières de l'ivresse. Maintenant donc que Bacchus soit le grand prêtre baptiseur de cette terre qui conaîtra, à n'en pas douter, d'autres fêtes étonnantes. Vive la Vie.

Pour moi qui, vous le savez suis amoureuse de la flore des Alpes, le signe tangible de cette vie sera le SEMPERVIVUM, appelation noble de la joubarbe : tige vigoureuse jaillie du socle à la forme parfaite, tu t'épanouis en fleur délicate et désigne à mes yeux, par delà l'éphémère, la vie qui perdure. Telle une marraine distribuant les dragées, je vous en remets. Qu'elle symbolise la vie de ces pierres mêmes, la vie de votre futur chalet, votre vie, notre vie à tous, celle "sempervivum" de notre amitié.

Mais bientôt après la libation, nous reviendrons à la bonne sagesse lyonnaise. Nous nous retirerons de votre compagnie assurés que cette fois-ci, de l'irréprochable vérité du propos que voici "On fait toujours plaisir aux gens en leur rendant visite, si ce n'est pas en arrivant, c'est en partant."

Vallouise Le 11 août 1985 Texte de Gaston [Guilhaume] sur quelques idées d'Hélène.